Les deux poids deux mesures en politique internationale : une pratique ancestrale qui perdure
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Il existe une colère dirigée contre un comportement apparu à la lumière de la crise ukrainienne. Cela est lié à ce que la crise des réfugiés ukrainiens en Europe a révélé sur les deux poids, deux mesures qui caractérisent le traitement des Européens face à la question des immigrants en provenance de pays africains ou asiatiques.
Un acte qui ne pouvait passer inaperçu. La porte-parole du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, l’a critiqué, déclarant : “Peu importe l’identité des réfugiés et d’où ils viennent. Soyons plus humains et compatissants”, adressant ses paroles aux Européens. Le chef de la Fédération internationale des organisations de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, l’a également dénoncé, soulignant qu’« il existe deux poids, deux mesures (…) en ce qui concerne la demande d’une protection spéciale pour les réfugiés ».
Cette politique de deux poids, deux mesures contribue à accentuer d’autres crises dans ce monde, car le conflit ukrainien révèle les deux poids, deux mesures des pays occidentaux qui n’ont pas hésité à imposer des sanctions à la Russie en raison de sa violation du droit international, tout en fermant les yeux sur les violations depuis 1967, d’Israël du droit international et leur occupation illégale en Palestine et dans le Golan.
D’autre part, la crise ukrainienne révèle également le double standard des Occidentaux, qui sont intervenus dans plusieurs pays, sous prétexte du « devoir de protection », tout en s’abstenant de d’une intervention directe en Ukraine, pourtant sollicitée par le gouvernement de Kiev.
Si l’histoire a connu la résolution de plusieurs conflits, sur la base des normes et des lois internationales, elle est en revanche pleine d’actions et de pratiques caractérisées par les deux poids, deux mesures.
Retour au XIXe siècle
Avant 1945, c’est-à-dire avant l’émergence des Nations Unies et l’organisation des relations internationales dans le cadre de règles communes et contraignantes, l’histoire a enregistré plusieurs précédents de politique de deux poids, deux mesures. Parmi eux, on trouve par exemple des précédents survenus au XIXe siècle, liés aux questions grecques, polonaises et algériennes.
En 1830, la Grèce a obtenu son indépendance du sultanat ottoman, après une intervention militaire tripartite russe, britannique et française soutenant les Grecs dans leur guerre contre les Turcs, qui cherchaient l’aide des Égyptiens. L’enthousiasme particulier de la Russie pour l’indépendance de la Grèce s’est accompagné d’un rejet catégorique de l’idée d’indépendance de la Pologne. La répression brutale menée par les forces tsaristes au cours de l’été 1831 annula la résolution d’indépendance déclarée par les Polonais au début de la même année. Ainsi, ils furent privés du droit que les Grecs avaient arraché.
De plus, alors que les forces françaises participaient à la guerre contre les Ottomans en faveur de l’indépendance grecque, la même année, elles envahissaient l’Algérie pour la dominer. Paris y justifia son débarquement militaire en 1830, sous prétexte de mettre fin aux agissements des pirates. Ceci, s’est transformée en un projet colonial, qui comprenait une guerre globale contre la rébellion algérienne dirigée par l’émir Abdelkader, qui s’est rendu en 1847. Après cela, l’Algérie a été annexée à la France. Elle n’obtiendra son indépendance qu’en 1962, à la suite d’une guerre de libération sanglante.
Uniquement les procès de Nuremberg ?
Ceci est un échantillon de plusieurs cas qui témoignent de l’existence de deux poids, deux mesures dans la politique étrangère des empires au XIXe siècle, avant que le colonialisme n’atteigne son apogée et que les crimes n’atteignent également leur apogée. Ces crimes sont restés impunis, même après 1945, alors que les criminels nazis allemands étaient jugés pour toutes les atrocités qu’ils avaient commises pendant la Seconde Guerre mondiale. Les procès de Nuremberg témoignent de la volonté des grandes puissances (victorieuses) d’obtenir justice en Europe, en soutien aux victimes des camps de concentration et de l’Holocauste.
L’oppression britannique au Kenya
L’écrivaine et historienne américaine Caroline Elkins compare les actes de persécution perpétrés par la Grande-Bretagne au Kenya aux camps de concentration soviétiques en Sibérie à l’époque stalinienne, dans son livre publié en 2006 sous le titre (Imperial Reckoning: The Untold Story of Britain’s Goulag au Kenya). ). Il est vrai que les données révélées par Elkins sur les Britanniques détenant environ 320 000 Kenyans dans des camps de concentration, en plus de la mort de dizaines, voire de centaines de milliers de personnes, sans parler de la famine, de la torture et des viols… ont conduit plus tard les Britanniques verser une compensation financière pour plus de cinq mille victimes kenyanes. Mais cela ne diminue en rien la gravité des violations britanniques du droit international et des droits de l’homme, commises après l’adoption de la Charte des Nations Unies et l’entrée du monde dans une phase dans laquelle la politique était censée être gouvernée par le droit, plutôt que par la force.
Impunité au Vietnam et au Bangladesh
Le manque de volonté d’instaurer la justice internationale a été la caractéristique dominante des actions des États après 1945 et pendant la guerre froide. La guerre du Vietnam et les violations américaines qui l’ont accompagnée ont représenté un état d’impunité. C’est ce qui a poussé le mathématicien britannique Bertrand Russell et le philosophe français Jean-Paul Sartre à lancer en 1966 un « tribunal de l’opinion », qui ne disposait pas de « pouvoirs juridiques », mais dont le but était de condamner la politique de deux poids, deux mesures chez les Occidentaux qui se sont abstenus de généraliser la logique des procès de Nuremberg sur le cas vietnamien.”
Depuis des années, les pays occidentaux persécutent les gouvernements et les régimes parce qu’ils violent les droits de l’homme, mais ils oublient leur « bilan historique » déshonorant dans ce domaine.
Pendant la guerre de libération du Bangladesh, en 1971, le Pakistan a commis des crimes de guerre, des massacres et même un génocide contre la population bengalie. On estime qu’entre un et deux millions de Bangladais ont été tués et des millions déplacés. A cette époque, l’Inde, alliée de l’Union soviétique, soutenait le Bengale et intervenait en sa faveur, tandis que le Pakistan recevait deux soutiens, américain et chinois. L’administration américaine a fermé les yeux sur le génocide commis par le Pakistan, uniquement parce qu’elle avait besoin de plaire à la Chine, de la convaincre et de parvenir à un rapprochement avec elle face à l’Union soviétique.
Libérer uniquement le Koweït ?
Avec la fin de la guerre froide, on pensait que le temps des deux poids, deux mesures était révolu : la victoire de la démocratie sur le totalitarisme entraînerait un engagement international strict envers le droit international et les règles régissant les relations internationales. Le premier test était prometteur.
Lorsque l’Irak de Saddam Hussein envahit le Koweït et annonça son annexion en août 1990, les Nations Unies autorisèrent une intervention militaire dirigée par les États-Unis pour forcer l’Irak à se retirer du Koweït. La libération de cet État du Golfe en 1991 a représenté une bonne nouvelle pour de nombreux peuples, notamment les Palestiniens et les Libanais. Mais le comportement des États-Unis et de la communauté internationale était décevant. Le monde s’est rendu compte une fois de plus que la politique des deux poids, deux mesures avait la peau dure. L’application du droit international dans le cas koweïtien ne s’appliquait pas au cas palestinien, ni au cas libanais à l’époque.
D’une part, l’histoire retrace une intervention militaire américaine à la tête d’une coalition internationale et arabe pour libérer le Koweït et protéger sa souveraineté, son indépendance et son intégrité territoriale. D’un autre côté, l’occupation israélienne de Gaza, de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, du Golan et du sud du Liban se poursuivait à cette époque, tandis que Washington non seulement ne parvenait pas à intervenir pour forcer Israël à se retirer, comme il l’a fait contre l’Irak au Koweït, mais il a plutôt utilisé son droit de veto au Conseil de sécurité pour empêcher toute tentative visant à imposer des sanctions à l’État occupant.
D’un autre côté, il y a une coïncidence scandaleuse entre le comportement qui a empêché la poursuite de l’occupation irakienne d’un pays arabe, et l’approbation implicite par les États-Unis de l’intrusion de l’armée syrienne au Liban, à l’automne 1990, et la consécration qui en a résulté de l’occupation syrienne. L’occupation d’un autre pays arabe, uniquement parce qu’Hafez al-Assad a soutenu la mission américaine contre Saddam Hussein.
Illusions du nouvel ordre mondial
C’est ainsi que le « Nouvel Ordre Mondial » dirigé par les États-Unis a été inauguré après la chute de l’Union Soviétique. La victoire de la démocratie sur le totalitarisme supposait que le monde se rapprocherait d’un état d’égalité dans l’application des normes internationales. En fait, cette pensée semblait n’être qu’une illusion.
Bien entendu, de nombreuses expériences témoignent de la volonté des puissances internationales d’instaurer la justice internationale, de protéger les droits de l’homme et la souveraineté, de limiter la prolifération nucléaire et de poursuivre en justice les criminels de guerre et les auteurs de crimes contre l’humanité, des Balkans jusqu’en Afrique en passant par le Moyen-Orient. Mais à cette prudence, s’ajoute l’inaction et le refus de faire le travail requis dans d’innombrables domaines et cas, afin de mettre en œuvre les normes et règles internationales, loin de la politique de deux poids, deux mesures.
La guerre yougoslave de 1999, par exemple, relève de la catégorie du « devoir d’intervention » afin de protéger la population du Kosovo des massacres dont elle a été victime de la part des Serbes. Cependant, après le succès de l’intervention militaire de l’OTAN visant à renverser le régime de Slobodan Milosevich et à diviser la Yougoslavie, les doubles standards ont été renforcés lorsque seuls les criminels de guerre serbes, dirigés par Milosevich, ont été jugés, tandis que les crimes de guerre commis par les forces israéliennes contre des civils palestiniens restent impunis, bénéficiant également du silence des grands médias occidentaux.
Le défi américain à la diplomatie des droits de l’homme
Les guerres en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003 montrent également que la soi-disant guerre contre le terrorisme ou la bataille contre les régimes voyous ne s’est pas déroulée sans violation du droit international et sans violations contraires aux objectifs de la diplomatie des droits de l’homme, mais elle reste en dehors de toute responsabilité et responsabilisation. Les expériences vécues, de Guantanamo Bay à la prison d’Abou Ghraib, sont profondément troublantes. Cela confirme la normalité des deux poids, deux mesures en politique internationale. Ainsi, le comportement des États-Unis pendant la guerre mondiale contre le terrorisme indique le recul des valeurs fondamentales des droits de l’homme dans le bastion même du libéralisme mondial.
Le sombre bilan de l’action internationale
Tout examen critique de la situation mondiale au cours des deux dernières décennies révélerait un bilan sombre des actions internationales caractérisées par une politique de deux poids, deux mesures.
La politique basée sur une discrimination injuste entre les peuples est devenue claire et évidente. L’échec de la mise en œuvre des résolutions des Nations Unies exigeant que l’Irak abandonne ses programmes d’armes de destruction massive représente l’un des prétextes que Washington préconisait pour justifier sa campagne contre le régime de Saddam Hussein. Indépendamment du fait que Washington ait menti sur la possession d’armes de destruction massive par l’Irak, les deux poids, deux mesures sont qu’Israël refuse toujours de mettre en œuvre les résolutions des Nations Unies et que la Turquie n’adhère pas aux résolutions de l’organisation internationale sur la question chypriote, sans que Washington et d’autres puissances internationales ne réagissent. Au contraire, l’administration du président Donald Trump n’a pas hésité à déplacer l’ambassade américaine en Israël vers Jérusalem occupée, en violation flagrante des résolutions de l’ONU concernant le statut de cette ville.
Aussi, la lutte contre la prolifération nucléaire dans le monde est gérée par Washington selon la logique du double standard. Ainsi, les Américains s’opposent aux tentatives de l’Iran de posséder une bombe nucléaire, alors qu’ils n’ont aucun problème avec la coopération nucléaire avec l’Inde et qu’ils ne tiennent pas Israël et le Pakistan pour responsables de la possession d’armes nucléaires.
La condamnation de la politique de deux poids, deux mesures renvoie également à ce qui s’est passé en 2011, lorsque l’ONU a autorisé le recours à la force en Libye et en Côte d’Ivoire, sous prétexte du « devoir de protéger la population civile », tout en s’abstenant toujours de recourir à la force pour imposer une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la bande de Gaza pour protéger les civils palestiniens des bombardements israéliens, meme durant le mois de ramadan.
Le ressentiment contre cette politique, qui établit une distinction entre un État et un autre État et entre un peuple et un autres peuple, s’étend également au comportement qui a eu lieu à l’égard de la situation libanaise après 2005, consistant à forcer la Syrie à se retirer du Liban en réponse à la demande du Conseil de sécurité, et en termes de création d’un « tribunal international spécial » pour juger les assassins du Premier ministre Rafik Hariri, en l’absence de toute pression visant à mettre fin à l’occupation israélienne de la Cisjordanie, de l’Est Jérusalem et le Golan, ou encore en soumettant à des procès les criminels de guerre israéliens au Liban et en Palestine.
Les relations internationales dans le cadre du « Printemps arabe » ont également été caractérisées par des doubles standards, les Bahreïniens ne bénéficiaient pas d’une solidarité occidentale comparable à celle dont jouissaient les Libyens et les Syriens. La position la plus célèbre qui reflète clairement les deux poids, deux mesures est peut-être celle dans laquelle l’ancien Premier ministre britannique David Cameron a déclaré en 2012 que « Bahreïn n’est pas la Syrie », justifiant le silence sur la répression en affirmant que Bahreïn mettait en œuvre des réformes.
Ce que l’on entend ici, c’est que les puissances internationales peuvent punir un pays et ses dirigeants sous prétexte de violer les principes de la démocratie, des droits de l’homme et des libertés, et qu’elles peuvent pardonner aux autres, sachant que leurs violations ne sont pas moins dangereuses et brutales que celles qui sont commises et punies. Le double standard se produit uniquement parce que les premiers servent les intérêts de ces puissances internationales, tandis que les autres poursuivent des politiques qui entrent en conflit avec ces intérêts. C’est également ce qui se passe en Afrique, où, par exemple, Paris s’oppose clairement et fermement au coup d’État au Mali et au Niger, à l’heure exacte où elle est plus conciliante avec le coup d’État en Guinée ou celui du Burkina Faso.
La liste des victimes des doubles standards dans le monde est longue. La solution ne réside pas dans la généralisation de l’impunité et dans les interventions militaires illégales, c’est-à-dire celles menées sans mandat de l’ONU, comme cela s’est produit au Kosovo et en Irak, et comme c’est le cas aujourd’hui en Ukraine. Il s’agit plutôt de rétablir le respect du droit international et des normes internationales. Et en construisant un système international dans lequel chacun est traité sur la base de l’égalité.
Est-ce possible avec des puissances internationales comme les États-Unis, la Chine, la Russie, la France et la Grande-Bretagne… qui sont animées par des politiques d’influence, d’expansion, d’hégémonie et de contrôle des ressources et des sources d’énergie ?